Une annonce invite
les Juifs marocains et tunisiens victimes de persécutions nazies à déposer à
Paris (France) des dossiers pour des « indemnités allemandes »
versées par la controversée Conference on Jewish Material Claims Against Germany ou Claims Conference, organisation qui
depuis 1951
négocie avec l’Allemagne l’indemnisation des Juifs persécutés lors de la Shoah
(Holocaust) et distribue ces sommes
notamment aux victimes juives. Une procédure caractérisée par son opacité, des
honoraires élevés à un avocat canadien, et donc l’absence d’aide
d’organisations communautaires françaises. Article mis à jour au 19 décembre 2013. Le 6 décembre 2015, le gouvernement israélien a annoncé qu'il va allouer 950 $/an et indemniser l'achat de médicaments par les Juifs victimes de persécutions antisémites et originaires d'Algérie et du Maroc de 1940 à 1942 et à ceux ayant souffert lors du Farhud en Iraq en 1941 et ayant fait leur aliyah.
2e partie : « Notre cabinet a constaté l’inaction des organisations communautaires françaises », déclare Me Henri Simon (2/5)
3e partie : Le FSJU assiste des Juifs originaires du Maroc et de Tunisie pour leur indemnisation par la Claims Conference (3/5)4e partie : Interview d’Hillary Kessler-Godin,directrice de la Communication de la Claims Conference (4/5)
5e partie : Quand un indemnisé de la Claims Conference se rebiffe contre Me Henri Simon (5/5)
An excerpt of my articles was translated in English by Point of no return
L’annonce est bien placée : dans les premières pages du n°1177 (22 septembre 2011) d’Actualité juive, hebdomadaire incontournable de la communauté juive française [1].
Carences
informatives d’un formulaire daté
Elle informe que des « indemnités de guerre que
l’Allemagne a convenu de payer » visent les Juifs marocains nés ou ayant vécu au Maroc avant août 1943 et tunisiens nés avant mars 1944. Le
montant de l’indemnité : environ 2 555 euros.
Les « formalités étant simplifiées », les
personnes visées sont invitées à se rendre à la synagogue consistoriale Berith Chalom, présidée par Salomon Attia (Paris), avec divers documents. Un numéro de téléphone et un e-mail sont indiqués
dans l’annonce.
Ce 5 octobre 2011, une dame entre dans cette belle
synagogue du quartier de la gare Saint-Lazare. Dans une salle, plusieurs
personnes remplissent des formulaires. Au fond, un sexagénaire enregistre les
dossiers. Cette dame demande à remplir un formulaire. S’étonne de devoir payer
un avocat. S’étonne de n’avoir pas reçu de réponse à son courriel. Demande des
informations. La réponse à ses questions pourrait se résumer ainsi :
« On ne répond pas aux courriels. Si vous n’êtes pas contente, ne
remplissez pas le formulaire et partez ».
Première surprise du formulaire, les feuillets désignent
les seuls « Juifs marocains ». Et aucun formulaire portant la mention
« Juifs tunisiens » n’est donné aux demandeurs d’origine tunisienne. Or, la situation des Juifs tunisiens diffère de celle des Juifs marocains : les Nazis ont occupé la Tunisie pendant six mois (novembre 1942-mai 1943).
En français et en allemand, et en deux exemplaires, le
deuxième feuillet (« p.8 ») s’avère une attestation de
« véracité des renseignements fournis ». Il précise que « tout
litige relève exclusivement des juridictions de Francfort-sur-le-Main,
République Fédérale d’Allemagne » (RFA). Or, la RFA n’existe plus depuis
la réunification allemande (1989-1990)... De plus, le signataire reconnaît
« n’être créancier d’aucune obligation légale à l’aide du Fonds Hardship ».
Il s’engage à renoncer à « exercer toute action en justice contre la Claims Conference – dont
le siège est à Francfort - concernant la présente demande et son examen »
et l’autorise à rassembler des informations sur lui.
Les deux derniers feuillets sont, d’une part, une
procuration en faveur de Me Henri Simon, avocat à Montréal (Québec, Canada) et,
d’autre part, une « entente sur les honoraires ».
Régie par les lois québécoises, la procuration lie le
signataire et ses ayants droit à cet avocat autorisé à « obtenir tous les
renseignements » sur le demandeur et à recevoir « tous renseignements
nominatifs versés » dans le cadre du « présent programme » qui
n’est pas nommé.
Quant aux honoraires, ils sont fixés à 20% de « toutes
les sommes » à titre d’indemnité « dans le cadre du programme
mentionné en rubrique », plus « toutes les taxes applicables ».
Donc, l’avocat percevrait plus du cinquième des indemnités…
Le demandeur s’engage à remettre un chèque de 500 € à
l’ordre du cabinet Simon & Associés. Un chèque non daté ! Un chèque conservé à la synagogue
Berith Chalom jusqu’à la « réception de l’indemnité à laquelle » le
demandeur est éligible, date à laquelle ce « titre de paiement » sera
remis à l’avocat pour être « encaissé à titre de paiement final et total »
de ses honoraires. Si le demandeur ne percevait aucune indemnité, le chèque
serait détruit.
Une procédure opaque
qui isole les survivants Juifs
De quelles indemnités s’agit-il ? Celles du Fonds Hardship ?
Pourquoi ne pas mentionner la faculté d’appel des décisions de la Claims Conference et
exclure toute action judiciaire ? Quels sont les critères
d’admission ? Pourquoi une indemnisation et une annonce si tardives, ce
qui a pénalisé des Juifs, aujourd’hui décédés, mais éligibles à ces indemnités ?
Mystères.
On peut s’étonner aussi de cette représentation par un
avocat en vue d’une indemnisation par la Claims Conference, alors que celle-ci affirme
que la « réception et le dépôt de la demande d’indemnisation [du fond Hardship] sont gratuits ».
Quelle confiance accorder Me Simon au vu des documents datés et aux
carences informatives, au vu d'un formulaire différent de celui du Fonds Hardship qui est plus détaillé (8 pages) ? Comment des septuagénaires ou octogénaires français,
ou leurs proches, peuvent-ils guider un avocat canadien et veiller sur son
travail auprès d’une organisation dont le siège est en Allemagne ? Qui a
choisi et négocié les honoraires de Me Simon ? Ses honoraires ne sont-ils
pas exagérés au regard du travail à effectuer et des revenus parfois modestes
de personnes âgées, qui doivent en plus assumer de coûteuses dépenses de santé ?
Re-mystères. Notons que le formulaire de la Claims Conference est lui aussi daté - il se réfère à la RFA - et ne mentionne pas la faculté d'appel de la décision de cette organisation.
La médiation d’un avocat est d’autant plus surprenante que le
formulaire et la notice explicative du
Fonds Hardship sont téléchargeables gratuitement sur le site Internet de la Claims
Conference et que des organisations juives françaises - la Fondation CASIP-COJASOR, FSJU
(Fonds Social Juif Unifié) - sont en contact avec la Claims Conference.
Présidée par Eric de Rothschild et dirigée par Gabriel Vadnai, la Fondation CASIP-COJASOR a
centralisé des dossiers d’indemnisation de Juifs originaires de Tunisie
indemnisés par la Claims Conference. De plus, elle dispose d’un service chargé de « l’aide et l’accompagnement pour les indemnisations – Article 2, Hardship Fund, pension des ghettos, CIVS ». D'après une source, des dossiers similaires seraient vendus à Belleville, près du siège de cette Fondation.
Quant au FSJU, « institution
majeure du judaïsme français dans les domaines de la solidarité, de l'identité,
de la formation et de l'information », son site Internet indique que,
soutenu par la Claims Conference et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, il
a « instruit les dossiers de réparation auprès des autorités allemandes en vue de l’obtention d’une indemnisation pour des spoliations et a géré le dispositif humanitaire suisse destiné aux victimes de persécutions nazies ». Les Juifs français valent-ils moins que leurs coreligionnaires suisses ?
Notons que son président, Pierre Besnainou, et
son vice-président, Gil Taieb,
n’ont jamais caché leurs origines tunisiennes. De plus, tous deux signent des
tribunes publiées par Actualité juive.
Hasard ? Ce même n°1177 a publié
un article de Gil Taieb en page 11, une page en vis-à-vis de celle de l’annonce
(page 10). En outre, Gil Taieb est membre du Conseil du
Consistoire de Paris Ile-de-France. Or, la synagogue de Berith Shalom, qui se
trouve à Paris, est consistoriale. Qui serait responsable si ces chèques étaient débités sans que les survivants aient reçu la moindre indemnisation ? Enfin, Gil Taieb est candidat lors
des élections législatives désignant en 2012 le député des Français de
l’étranger dans une circonscription
incluant l’Etat d’Israël où
vit un nombre important de Juifs originaires du Maroc et de Tunisie.
Y aurait-il deux catégories de Juifs indemnisables :
ceux assistés par des organisations communautaires et ceux qui devront
acquitter les honoraires de Me Henri Simon ? Une information plus précise
sur ces indemnités ne pourrait-elle pas figurer dans les sites Internet ou dans
les newsletters de ces organisations communautaires françaises ?
J’ai interrogé la Claims Conference et Me Henri
Simon. Je publierai leurs réponses dès réception.
J'ai aussi sollicité la réaction du FSJU, de la Fondation Casip-Cojasor et du Consistoire israélite de Paris Ile-de-France - son président, Joël Mergui, et le grand rabbin de Paris, David Messas, sont tous deux d'origine marocaine - et je publierai leurs opinions dès réception.
Visuels : © DR
J'ai aussi sollicité la réaction du FSJU, de la Fondation Casip-Cojasor et du Consistoire israélite de Paris Ile-de-France - son président, Joël Mergui, et le grand rabbin de Paris, David Messas, sont tous deux d'origine marocaine - et je publierai leurs opinions dès réception.
Visuels : © DR
[1] J'ai collaboré à Actualité juive de 2001 à 2004.
Cet article a été publié le 11 octobre 2011 et modifié pour la dernière fois le 28 novembre 2011.
Articles sur ce blog concernant :
- Culture
- France
- Shoah (Holocaust)
Cet article a été publié le 11 octobre 2011.
Cet article a été publié le 11 octobre 2011.
Merci pour cette article. Pour illustrer les problèmes liés à l'indemnisation des victimes du nazisme, voici la réponse de Mme F. du FSJU à propos de mon père né en 1939 (donc ayant vécu sous le régime de Vichy en France!) fils et petit fils de déportés juifs (père rescapé et grand-mère décédé à Auschwitz ainsi que d'autres membres de la famille proches):
RépondreSupprimer"Pour être brève, malheureusement les questions liées aux indemnisations sont extrêmement complexes et arrivent bien tardivement. La plupart des dossiers sont traités mondialement soit aux USA, soit en Allemagne ou encore en Israel.
Rare sont les dossiers traités en France (les spoliations de biens)
Votre Papa aurait pu avoir des indemnisations il y a quelques années de cela lorsqu’il s’agissait de rechercher les enfants de déportés, ce qui n’est plus du tout le cas aujourd’hui.
Il y a eu ensuite les spoliations de biens immobiliers, puis les fonds en déshérence
Aujourd’hui il ne reste presque plus personne de cette terrible époque et la plupart des dispositifs ne concernent aucunement les enfants mais les personnes elles-mêmes.
Pour exemple, les enfants cachés, les personnes elles-mêmes privées de circuler etc….
Pour vous donner un autre exemple, en Hongrie, il y avait le train des Juifs, il s’agissait d’un train rempli de biens tableaux, or, etc.. et les autorités recherches aujourd’hui les propriétaires de ces biens mais certainement pas leurs descendants !!!!! la majorité de ces fonds sont partis pour la création d’une maison de retraite en Suède ou en Norvège je ne me souviens plus très bien !!! "
J'en conclu qu'un enfant ayant en France subi le régime de Vichy, la déportation de son père, sa grand-mère et d'autres membres de la famille n'a pas vécu directement la persécution nazie alors qu'un enfant juif marocain au Maroc à la même époque aurait subi cette persécution à cause des restrictions de circulation imposé par le même régime.
Notez par ailleurs la comparaison abusive que Mme F. fait avec les biens spoliés!