Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

jeudi 12 mars 2020

Big Brother. L’artiste face aux tyrans


Le Palais des arts et du festival de Dinard, station balnéaire (Bretagne), a accueilli l’exposition éponyme et problématique d’art contemporain faisant référence au roman 1984 de George Orwell (1949). Cinq « œuvres artistiques » de Claude Lévêque , Kendell Geers, Marc Séguin et et Joana Vasconcelos  banalisent la Shoah, stigmatisent le sionisme et le judaïsme, et suscitent la méfiance quant à la réalité des attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a alerté le commissaire de l’exposition, Ashok Adicéam, qui bénéficie du soutien de Sylvie Mallet, maire de DinardArte diffusera le 15 mars 2020, dans le cadre de Philosophie, « Y a-t-il de bons tyrans ? » (Gibt es auch gute Tyrannen?) de Philippe Truffault. Invités : Céline Spector et Thierry Lentz.

C’est la galeriste Francine Szapiro qui, le 28 août 2011, a révélé sur la radio Judaïques FM cette exposition estivale présentant plusieurs œuvres choquantes dans une ville non épargnée par les déportations.

« Une volonté délibérée de troubler, d’influencer les esprits de visiteurs » (Francine Szapiro)
Située près de Saint-Malo et du Mont Saint-Michel, Dinard a été fréquentée notamment par le romancier israélien David Shahar, le poète Juif de langue française Edmond Jabès. Depuis une douzaine d’années, elle développe une politique culturelle jalonnée par des rétrospectives Picasso, Foujita. Et s'oriente depuis quelques ans vers l’art moderne. Pourquoi pas ?

La scénographie de l’exposition distingue six « sections s’appuyant sur la pensée critique contemporaine » :  L’Empire des Signes/Roland Barthes, Les Origines du totalitarisme/Hanna Arendt (Acte I), La Société du Spectacle/Guy Debord (Acte II), L’homme révolté/Albert Camus (Acte III), Le Journal de Moscou/Walter Benjamin (Acte IV) et Oedipe Roi/Sophocle (Acte V). Seule l’ignorance peut ranger Sophocle, auteur de tragédies du Ve siècle avant l’ère commune, dans la « pensée critique contemporaine ». Le placer en fin de parcours – « un dénouement dans l’apothéose » (sic) - semble curieux et contraire à la chronologie. De plus, la place de telle ou telle œuvre dans certaines sections parait peu compréhensible.

Pour cette exposition, 33 artistes ont été sélectionnés. Sur quelle base ? Mystère.

Sur les 58 œuvres – peintures, photos, sculptures, installation, etc. - montrées, cinq (environ 11 %) sont particulièrement problématiques. Et c’est un euphémisme.

Décrivons ces œuvres choquantes :
-            Una Dirección/One way (2003) de Joana Vasconcelos née en 1971. « Dès l’entrée, ce que j’avais pris pour un cordon de guidance est en fait une suite de nattes de cheveux tressés [Nda : synthétiques, blonds, bruns et noirs]. Or, le seul endroit que je connaisse où l’on ait ainsi utilisé les cheveux des victimes pour fabriquer précisément des objets utilitaires, c’est Auschwitz. Rien ne le rappelle dans la notice de cette œuvre ».  Le catalogue indique que ces cordons « évoquent à la fois la façon dont les femmes sont socialement assignées à des places et à des conduites bien déterminées, ainsi que le rôle jouée par les idéals de beauté dans ce système oppressif ». Il est des raccourcis pour le moins gênant.

-            Arbeit Macht Frei (1992) de Claude Lévêque né en 1953. Un néon blanc en forme de Mickey désigne de sa main gauche l’inscription, en métal rouillé, « Arbeit Macht Frei » (Le travail rend libre) tristement célèbre pour être celle du fronton de l’entrée du camp d’Auschwitz (Pologne). « Devant moi, le commissaire de l’exposition expliquait, le jour du vernissage, que cette « œuvre » de Claude Lévêque symbolisait l’aliénation de l’individu par le travail, quel que soit le camp », se souvient Francine Szapiro. Et d’ajouter : « J’ai essayé alors de réagir à cette banalisation outrancière de l’expérience concentrationnaire (qui confinerait presque à une forme de négationnisme). J’ai essayé d’expliquer à ce commissaire et à ceux qui l’entouraient qu’Auschwitz n’était pas un camp de travail mais un camp d’extermination. Le commissaire n’a rien répondu et, lors d’une visite guidée ultérieure, une guide a déclaré que chacun pouvait voir dans cette œuvre ce qu’il voulait ! » Selon le catalogue, « l’artiste plonge dans son histoire – son grand-père fut déporté politique durant la Seconde Guerre mondiale. La pièce évoque selon l’artiste la question de l’amnésie ainsi qu’il l’explique : « La façon dont l’oubli peut être manipulé par des univers comme ceux développés dans Disneyland, où les gens baignent dans un environnement de rêve, de magie, de sorte qu’ils ne perçoivent plus de la même manière  la réalité. Pour moi, cet univers est du décervelage ». Quel rapport avec le complexe concentrationnaire d’Auschwitz ?

-           German Expres-sionism (2011) de Marc Séguin né en 1970. Un portrait d’Hitler sur lequel l’artiste a peint et dessiné : il a transformé une mèche en coulée descendant le long du côté droit du visage du Führer. « Ce trait d’union séparant les syllabes Express et Sionism, isolant ce dernier mot comme pour relier visuellement le sionisme et Hitler, comme pour créer une parenté non formulée, subliminale mais bien présente, entre les deux. Interrogé à ce sujet, le commissaire de l’exposition a déclaré, ce qui paraît incroyable, « qu’il n’avait pas remarqué le trait d’union ! » Le catalogue qualifie l’œuvre de « troublante » et définit l’expressionnisme : d’abord un « mouvement artistique fondamental des années 1920 » que les nazis ont réprimé en Allemagne, puis un terme « accolé à l’abstraction américaine de l’après-guerre ». Il s’interroge doctement : « L’art abstrait sera-t-il capable de « recouvrir » l’image de Hitler, finalement toujours reconnaissable malgré les atteintes des coups de pinceau ? C’est peut-être toutes ces concomitances que discute ici Marc Séguin ». Ah bon ! La place du trait d’union est problématique : pourquoi ne pas l’avoir placé par exemple après « ex » ?

-           Signs Taken for Wonders (102) de Kendell Geers (2007). Vingt-quatre matraques noires formant un Maguen David de deux mètres de haut se détachent d'un mur blanc. L’œuvre est placée sur le même mur que le Mickey montrant Auschwitz, entre le visage de Ben Laden au-dessus d'une robe du soir (Usama Bin Laden de Marc Séguin, 2005) et une photo en couleurs où des jeunes cagoulés jettent des pierres (Visions of the World, Grèce, été 2006, de Claire Fontaine, collectif de deux artistes le Britannique James Thornhill né en 1967 et la philosophe italienne Fulvia Carnevale née en 1975). « Vingt-quatre matraques noires qui sont comme autant d’accusations de brutalité adressées au peuple Juif tout entier, et pas seulement à l’Etat d’Israël. Avant d’être un des emblèmes de l’Etat d’Israël, l’étoile de David est un des symboles du judaïsme dans sa globalité. Cette présentation est d’autant plus malsaine et visiblement orientée que les jeunes de la photo jettent leurs pierres en direction du Maguen David, ce qui ne peut que renvoyer le visiteur à l’Intifada. Or, en s’approchant de tout près pour lire la légende, on découvre au contraire que la photo a été en réalité prise en Grèce ! La juxtaposition induit ici un amalgame particulièrement pernicieux, un amalgame qu’il est difficile de croire involontaire », précise Francine Szapiro.

-           The Treason of the Images (2001) de Kendell Geers. Huit photos en couleurs des Twin Towers de New York en feu, de destructions, de voitures entourées de flammes, de drapeau américain brûlant, de débris calcinés. Et sur chaque photo, est écrit en une police cursive blanche : « Ceci n’est pas une pipe ». Une allusion à La Trahison des images (1929), célèbre tableau de René Magritte qui a représenté une pipe légendée : « Ceci n’est pas une pipe ». N’est pas Magritte qui veut… De plus, Kendell Geers allègue que les images sont mensongères ou/et trahissent. Ce qui rappelle les rumeurs niant les attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Hasard ? Cette exposition s'est achevée le 11 septembre 2011.

« Un coup de colère » (Francine Szapiro)
A lire les observations inscrites sur le Livre d’or, la colère de Francine Szapiro est partagée par nombre de visiteurs.

« Je me suis un moment demandée si l’agence de communication de cette exposition, qui est aussi l’agence de communication du Mémorial de la Shoah [Heymann RenoultAssociées, Nda], avait vraiment eu en mains, avant de se charger de cette mission, toutes les pièces du dossier », s’interroge Francine Szapiro. Et d’ajouter : Ashok Adicéam, « commissaire de cette exposition Big Brother, a refusé d’être interviewé sur une des radios de la communauté juive. L’association EuroPalestine, particulièrement active à Saint-Malo", [agit] parfois sur Dinard. Le Conseil régional de Bretagne a soutenu et subventionné avec l’argent des contribuables la flottille française [voulant forcer le blocus de] Gaza. Depuis deux ans, la ville de Dinard multiplie les manifestations sur et autour de Céline… »

J’ai demandé à cette agence la possibilité d’interviewer le commissaire de l’exposition et d’avoir le catalogue. Sans obtenir la moindre réponse. Hasard ? Le dossier de presse omet de montrer les œuvres les plus choquantes.

L’implication de Sylvie Mallet, maire de Dinard, est manifeste : elle préface le luxueux catalogue de l’exposition, coédité par la ville de Dinard. Commissaire de l’exposition, Ashok Adicéam y a écrit un texte confus, émaillé de citations, mêlant le nazisme, le fascisme, « l’impérialisme américain face à la guerre en Irak » et le 11 septembre 2011 – qui est le tyran ? -, et héroïsant l’artiste face au tyran. A la lecture de l’avant-propos d’Ashok Adicéam, on peine à comprendre les visées de l’exposition.

Le 9 septembre 2011, Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), a écrit à Ashok Adicéam. Il lui a fait part de son attachement à la liberté d’expression, et a alerté sur « ce qui se met en place : une intervention militante et idéologique qui conduit à essentialiser une certaine population. Vous remarquerez qu’aucun autre pays au monde en dehors de l’Etat d’Israël n’est essentialisé sous cette forme alors que des exactions incomparablement plus lourdes et plus dramatiques ont lieu dans d’autres pays. Nous pensons que la représentation d’Israël comme responsable de tous les maux est une forme d’antisémitisme sous le masque neuf de l’antisionisme. Pour votre information, nous recensons pour l’année 2010 466 actes antisémites commis sur le territoire national. Nous pensons que la diabolisation d’Israël est aujourd’hui la cause la plus importante de ces actes. Favoriser cette diabolisation c’est assumer l’inflation de ces actions contre les Juifs dans notre pays. Je ne crois pas que cela soit une attitude responsable »

Une lettre restée sans réponse.

Le 10 novembre 2011, Martina Craveia-Schütz, conseillère municipale de l'opposition, s'est indignée dans une Lettre ouverte aux Dinardais publiée dans Le Pays Malouin. Elle dresse le bilan de cette exposition de juin à septembre 2011 :
"Coût : 450 000 euros au bas mot, pour une fréquentation qui reste à démontrer Une telle exposition n'a pas laissé indifférent dans sa façon de banaliser le racisme, la violence, et de transformer la haine de l'autre en chose courante. Etait-ce le but recherché sous un alibi « culturel » ? Ce qu'il faut dire et porter à la connaissance de tous, comme je le fais sur mon blog www.dinard-demain.org ce sont les protestations qu'a générées cette exposition : indignation d'une galeriste, membre du jury du prix Rozan et du syndicat de la presse artistique Française lors d'une émission de radio, des mails de contestations envoyées à France 2 à propos de l'émission du matin, une lettre de protestation du Président du CRIF envoyée au commissaire de l'expo, ce dernier s'étant empressé de déclarer que l'expo avait été voulue comme telle par Mme Mallet, Véronique Chemla, journaliste indépendante qui exprime son désaccord sur son blog, et surtout les nombreux avis négatifs inscrits sur le livre d'or par les visiteurs, qui, bien sûr, ne sont pas montrés par Mme le Maire !... A nouveau, Louis Ferdinand Céline, le chantre de l'extrême-droite est au programme !... André Malraux disait très justement que « la culture n'a pas de prix, mais elle a un coût ». J'ajouterais que jamais ce coût ne doit aller jusqu'à transformer l'intolérable en acceptable, ni l'extrémisme en banalité".
On ne sait ce qui est le plus désolant : les messages politiques véhiculés par cette exposition ? Le soutien de l’édile de Dinard à cette manifestation ? La pédanterie de certains textes ? L'utilisation d'éminents écrivains ? Les visions partiales d’artistes ? Des politiques ou militants se présentant comme des artistes ?

Cette exposition s'ajoute à d'autres controversées : « Gaza 2010 » de Kai Wiedenhöfer, Peurs sur la ville. Photographies historiques, réelles et imaginaires, Reporters sans frontières, 100 photos de Pierre & Alexandra Boulat...

Arte
Les 24 et 30 mars, ainsi que le 7 avril 2015, Arte diffusa Un œil sur vous. Citoyens sous surveillance.


Arte diffusera le 15 mars 2020, dans le cadre de Philosophie, « Y a-t-il de bons tyrans ? » (Gibt es auch gute Tyrannen?) de Philippe Truffault. Invités : Céline Spector et Thierry Lentz. « Depuis plus de deux mille cinq cents ans, la philosophie politique condamne le despotisme. Peut-il y avoir de bons tyrans ? Raphaël Enthoven s'entretient avec Céline Spector, philosophe du politique, et Thierry Lentz, historien et directeur de la Fondation Napoléon ».


« Y a-t-il de bons tyrans ? » de Philippe Truffault 
Invités : Céline Spector, Thierry Lentz
France, 2018, 26 min
Disponible du 07/03/2020 au 12/05/2020

Sur Arte le 15 mars 2020 à 00 h 35

Sous la direction de Sylvie Mallet, maire de Dinard, et de Ashok Adiceam, commissaire, Big Brother, l’artiste face aux tyrans. Préface de Jean-Jacques Aillagon. Ville de Dinard-Flammarion/Skira, 2011. 160 pages. 29 €. ISBN : 9782081264502. 

Du 11 juin au 11 septembre 2011
Au Palais des arts et du festival
2, boulevard Wilson. 35801 Dinard
Tél. : +33 2 99 16 30 63
Du mardi au dimanche de 11 h à 19h. Nocturne le vendredi jusqu’à 21 h

Articles sur ce blog concernant :
France
Shoah (Holocaust)
Cet article a été publié le 26 septembre 2011, puis le 24 mars 2015.

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