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samedi 15 août 2020

Rembrandt et la figure du Christ

Après le Louvre, le musée d'art de Philadelphie présenta l'exposition éponyme et itinérante montrant sept visages du Christ peints par le protestant hollandais Rembrandt, un "lecteur assidu de la Bible" qui a "choisi de représenter très certainement un jeune Juif de son temps" vivant à Amsterdam pour répondre dans les années 1640 à la question "A quoi donc pouvait vraiment ressembler le Christ ?" - rompant ainsi "avec toute la tradition de l'art chrétien" -, ainsi que des esquisses rares mettant "en lumière l'originalité radicale de Rembrandt". 

Rembrandt et son cercle
Rembrandt et la figure du Christ
L’Age d’Or hollandais de Rembrandt à Vermeer 
Vermeer et les maîtres de la peinture de genre
Chefs-d’œuvre de la Collection Leiden. Le siècle de Rembrandt 
La Flandre et la mer


Cette exposition vise "à mettre en scène une énigme que le « cas Rembrandt » offre à l’histoire de l’art : l’éventualité paradoxale d’une représentation du Christ d’après nature, sur le vif – à Amsterdam au cœur du XVIIe siècle – et dans laquelle entrerait une forme de véracité historique".

Pour la première fois depuis 350 ans, sont présentées des esquisses rares dispersées en Europe et aux Etats-Unis.

Pour illustrer l'idée que Rembrandt avait de "l'apparition miraculeuse du Christ", sont réunies 85 œuvres (peintures, estampes, dessins), dont les Pèlerins d’Emmaüs du musée du Louvre, oeuvre récemment restaurée, et l'eau-forte Pièce aux Cent Florins (Bibliothèque nationale de France).

Une démarche unique
Rembrandt aurait fait poser un jeune homme membre de la communauté Juive d’Amsterdam dans son atelier. Puis, il se serait "inspiré de ces études, peintes ou dessinées par lui et ses élèves, dans sa peinture d’histoire".

"Pourquoi et dans quelle mesure Rembrandt a-t-il choisi de rendre sa figure du Christ si radicalement différente de celle qui – y compris dans sa propre imagerie religieuse antérieure – dominait jusqu’alors ? Quelles sont la part de l’originalité foncière de Rembrandt, les motivations proprement artistiques d’une telle entreprise, la beauté qui peut en résulter, l’importance d’une telle démarche en regard des commentaires (visuels et textuels) immensément nombreux sur la figure du Christ"?

Cette exposition, à la scénographie chronologique, embrasse toute la carrière de Rembrandt, et toutes les techniques qu'il a utilisées : "du dessin hâtivement tracé où il réussit à merveille à fixer un mouvement, une expression passagère mais significative, à des compositions picturales élaborées, en passant par des eaux-fortes dans lesquelles Rembrandt excellait".

Autour des œuvres de jeunesse de Rembrandt sont rassemblés des tableaux et gravures ayant concouru à sa culture, en particulier les grands maîtres graveurs du XVIe siècle, Dürer, Lucas de Leyde, Goltzius, et Mantegna.

La figure de Jésus est un sujet majeur de la peinture d'histoire où Rembrandt "entend surpasser les maîtres de la Renaissance nordique et influencer ses contemporains". Elle demeure un sujet de prédilection pour Rembrandt tout au long de sa carrière. Dans une Crucifixion de Rembrandt en 1631 (Le Mas-d’Agenais, collégiale Saint-Vincent), le Christ est représenté en "homme chétif, défait, martyr, misérable, à l’opposé du corps glorieux peint par Rubens", "génial metteur en scène du catholicisme baroque". L'exposition souligne aussi les influences réciproques et continues entre Rembrandt et les autres peintres : Jan Lievens et Jacob Backer (Saint-Pétersbourg, musée de Pavlovsk).

« L’Enquête sur l’Orient »
Au XVIIe siècle, les Provinces-Unies (Hollande) s'imposent comme "la première puissance économique d’Europe : sa Bourse est la première place financière du monde, sa marine domine les mers et son drapeau flotte sur tous les continents, du Brésil à Java. Le fort ancrage de la flotte commerciale hollandaise en Méditerranée et sa maîtrise des échanges avec les pays du Levant" exercent "une incidence essentielle sur le développement des connaissances des savants".

Les universités de ce pays protestant, tolérant, multiconfessionnel, accueillent des spécialistes européens du Proche-Orient. Les "presses universitaires publient en hébreu, en syriaque, en arabe ; les manuscrits orientaux sont très recherchés par les collectionneurs. Tout cela participe du grand mouvement de « l’enquête sur l’Orient » et Rembrandt, lui-même collectionneur encyclopédique, n’a pas pu rester insensible à ce vaste élan intellectuel".

Rembrandt "a toujours cherché à représenter au mieux la nature". Il a toujours refusé les académies et le voyage en Italie "pour se concentrer sur le travail en atelier avec des modèles vivants".

Rembrandt et la communauté Juive d'Amsterdam 
Lors des vingt premières années de sa carrière artistique, Rembrandt a souvent représenté le Christ "en restant fidèle aux précédents établis par l’art des anciens Pays-Bas et l’art italien".

Dans les années 1640, sa conception de cette représentation se modifie. Rembrandt "vit au contact de la communauté Juive d’Amsterdam - composée de Juifs sépharades ayant trouvé un asile lors et après les persécutions antisémites dans les royaumes espagnol et portugais catholiques et de Juifs ashkénazes réfugiés d'Europe centrale et orientale - lorsqu’il entreprend de peindre plusieurs figurations en buste du Christ" en prenant vraisemblablement pour modèle un jeune Juif. Ce choix pourrait s'expliquer par le souci de Rembrandt d'approcher au plus près la vérité historique, un réalisme pour montrer "le Juif que fut Jésus".

Au musée du Louvre, la signification de ce choix semble minorée. Or, elle est d'autant plus exceptionnelle, voire révolutionnaire à cette époque et par ce qu'elle implique d'acceptation de la judéité du Christ, de volonté de l'artiste de se rapprocher de l'authenticité. Par contre, au musée d'art de Philadelphie, destination suivante de cette exposition itinérante, les relations entre Rembrandt et les Juifs d'Amsterdam ainsi que la vision et la représentation des Juifs de la Bible sont plus développées.



Rembrandt possédait les traductions en allemand (1574) des Antiquités judaïques et La Guerre des Juifs illustrée par Tobias Stimmer de l'historien Flavius Josèphe. Selon le Philadelphia Museumof Art, l'image des Juifs chez Rembrandt a évolué d'une image stéréotypée vers une iconographie plus humanisée. Ainsi, deux eaux-fortes du Christ devant Ponce Pilate (Ecce Homo) par Rembrandt révèlent ce changement : celle de 1636 portraiture les Juifs parmi la foule se moquant de Jésus avec des caractéristiques stéréotypées sur les Juifs ; celle de 1655 montre ces personnages Juifs sous des traits sympathiques et issus de dessins de Rembrandt sur le vif.

La communauté juive d'Amsterdam a fourni à Rembrandt des modèles et des commanditaires, dont le rabbin et universitaire d'origine portugaise Samuel Menasseh ben Israël (1604-1657). Pour celui-ci, Rembrandt a réalisé quatre estampes aux sources bibliques pour illustrer le livre de Menasseh Piedra Gloriosa : la Statue de Nabuchodonosor, l'échelle de Jacob, David et Goliath, la Vision de Daniel. Selon le Philadelphia Museum of Art, "par sa relations avec Menasseh, Rembrandt était en étroit lien avec un projet extraordinaire de rapprochement judéo-chrétien à Amsterdam au XVIIe siècle, ce qui trouve un écho dans les têtes de Christ". 

Comment peut-on peindre le Christ d’après nature au XVIIe siècle ?
Rembrandt "récuse toute représentation idéalisée et choisit de traiter Jésus comme une figure historique. Il défie alors la haute autorité spirituelle du prototype transmis depuis l’Antiquité et promulgué par l’Église chrétienne universelle. Cette image canonique, voire stéréotypée du Christ, avait été affirmée par des siècles de tradition, et affinée au fil de controverses ecclésiastiques – parfois dans le sang. Le modèle repose alors essentiellement sur la « Lettre de Lentulus », qui donne une description (apocryphe) idéale de Jésus".

"Repenser l’imagerie du Christ est un sujet de choix pour un peintre aussi soucieux de rendre compte des passions et de la vérité d’un destin individuel. Ces visages peints sont remarquables par l’empathie qu’ils suscitent, véritable marque de la nouvelle formulation de la personnification divine qu’a développée Rembrandt" en renouvelant les images chrétiennes du Christ, de ses disciples, etc.

Sur chaque petite étude, Rembrandt s'attache à créer une attitude et une expression différentes pour "témoigner des diverses facettes du tempérament du Christ : humilité, douceur, compassion, vulnérabilité, doute, souffrance". Rembrandt rompt avec l'image alors dominante dans l’art européen. Il vise à "représenter l’émotion éprouvée et suscitée par le Christ, faisant du corps de celui-ci le réceptacle des sentiments".

Cette expérimentation ouvre "la voie à de nouvelles recherches picturales". Cependant, elle reste isolée, reprise seulement par certains élèves de Rembrandt, sans que ne se constitue une école et sans induire un "changement radical dans la représentation du Christ en peinture".

"Epiphanies, apparitions, révélations…. Moments privilégiés autour de la figure du Christ"
Rembrandt réfléchit à "la double nature du Christ" dans une problématique théologique, sans prendre parti dans les querelles, et artistique : "la question de la présence exceptionnelle et la mise en peinture de son surgissement dans le réel".

Le talent narrateur de Rembrandt trouve dans les scènes bibliques le genre permettant au mieux de montrer "la puissance de ses moyens et de son talent à disposer les figures et donner de l’intensité aux scènes, quels que soient l’épisode ou le nombre de personnages. Le moindre mouvement est déterminant pour la cohésion des figures entre elles et montre combien l’artiste maîtrisait la construction d’une scène".

La "peinture illusionniste que Rembrandt a privilégiée à ses débuts se fait de plus en plus allusive et suggestive. Ce changement d’orientation significatif dans son traitement des sujets religieux révèle une conception plus apaisée et méditative".

Rembrandt développe progressivement "l’idée que, par sa seule présence, le Christ est un objet de méditation et donc nécessairement un objet de perception".

Rembrandt offre ainsi sa réponse d'artiste "à la présence du Christ, entre méditation et émotion".

Organisée par le musée du Louvre, le Philadelphia Museum of Art et le Detroit Institute of Arts, cette exposition a été montrée sous le titre Rembrandt and the Face of Jesus au Philadelphia Museum of Art (3 août-30 octobre 2011), puis au Detroit Institute of Arts (20 novembre 2011-12 février 2012).

En décembre 2015, vivant à Manhattan, Justin Renel Joseph a poursuivi en justice le Metropolitan Museum of Art de New-York car celui-ci a exposé quatre tableaux représentant Jésus "aryen", blond, et à la peau blanche. Selon ce trentenaire, Jésus aurait "la chevelure noire laineuse", et la "peau de couleur bronze". Il a allégué souffrir d'un stress personnel et s'être senti rejeté en voyant "La Sainte Famille avec les anges" par Sebastiano Ricci, "Le miracle des pains et des poissons" du Tintoret, La Crucifixion" par  Francesco Granacci et "La Résurrection" par Perugino. Il a fondé sa plainte devant la Cour suprême de Manhattan sur le Civil Rights Act de 1964 interdisant les discriminations fondées sur la race ou la couleur de peau. Elyse Topalian, porte-parole du Metropolitan Museum of Art, a déclaré : « Quand [ces tableaux, Ndlr] ont été peints, il était habituel pour les artistes de peindre des sujets avec la même identité que le public local. Ce phénomène se produit aussi dans de nombreuses autres cultures ».

Jusqu'au 30 octobre 2011
Au Philadelphia Museum of Art
26th Street and the Benjamin Franklin Parkway
Philadelphia, PA 19130
Tel.: (215) 763-8100
Mardi, mercredi et jeudi de 11 h à 17 h, vendredi de 11 h à 20 h 45, dimanche de 10 h à 17 h


Jusqu'au 18 juillet 2011
Hall Napoléon
Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h, les mercredi et vendredi jusqu’à 22 h
Tél. : 01 40 20 53 17

Visuels de haut en bas :
Affiche
Tête du Christ, vers 1648-50, huile sur bois,
Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie,
Inv 811c © BPK, Berlin, Dist. RMN / Jörg P. Anders

Attribué à Rembrandt, Tête du Christ, vers 1648-
54, huile sur bois, Détroit, Detroit Institute of Arts,
Inv. 30.370, Founders Society Purchase (30.370)
© Bridgeman-Giraudon / Service de presse

Portrait en buste d’un jeune juif, 1663, huile sur
toile, Fort Worth, Kimbell Art Museum, Inv. AP.
1977.04 © Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas /
Art Resource, NY, Distr. RMN

Homme aux cheveux longs, assis, les bras repliés, craie noire sur
papier, Paris, Collection particulière © Collection Bob P. Haboldt

Le Christ au mont des Oliviers,
vers 1655, Hambourg, Kunsthalle,
Inv. 22413 © Hamburger
Kunsthalle / BPK, Berlin, Dist.
RMN / Christoph Irrgang

Cet article a été publié une première fois le 11 juillet 2011. Il a été republié le :
- 8 avril 2012 à l'approche de la fête chrétienne de Pâques ,
- 13 mai 2013 à l'approche de l'émission sur Histoire, le 18 mai 2013, consacrée aux portraits de Rembrandt ;
- 12 décembre 2015, 25 décembre 2017 et 30 mai 2019.
Il a été modifié le 7 septembre 2011. Les citations sont extraites du dossier de presse.

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