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dimanche 11 septembre 2016

Peurs sur la ville. Photographies historiques, réelles et imaginaires


Le musée de la Monnaie de Paris a présenté l’exposition éponyme, qui se voulait « inédite et iconoclaste », mais se révèle problématique et peu claire. Près de cent photos, argentiques et numériques, au message pacifiste confus. Une étrange ode au photojournalisme véhiculant des messages édulcorés, politisés ou biaisés. Article republié à l'approche des hommages aux victimes des attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et alors que des attentats terroristes fomentés par l'Etat islamique (ISIS) visant Paris, notamment Notre-Dame, ont été déjoués.


Cette exposition veut présenter une « réflexion sur la violence urbaine à Paris à travers des photographies historiques, réelles et imaginaires » et « invite le spectateur à voir et regarder pour comprendre et pour rester vigilant à cultiver la paix ». Un Paris qui inclurait bizarrement sa banlieue. Les maires de banlieue francilienne apprécieront…

Et Max Gallo, historien et membre de l’Académie française, avertit en introduisant l’exposition : « Ces photographies-témoins sont des voyants prophétiques. Ecoutons ce qu’ils nous montrent ».

Trois thématiques
Cette exposition s’articule sur le passé/le présent/l’avenir.

Elle se décline en trois thématiques/espaces : des photos d’archives de l’hebdomadaire Paris-Match, « magazine de référence du photojournalisme », sur des événements à Paris et dans sa banlieue depuis la Libération (1944) ; la série Paris Street View (2010) de Michael Wolf ; Guerre ici, photomontages de Patrick Chauvel.

« Paris-Match, le témoin permanent »
« Depuis plus de 60 ans, notre magazine raconte le monde tel qu’il est. Inlassablement, sur le terrain, nous recherchons une vérité sans fard ni concession. Pour l’exprimer, nous avons choisi le seul langage universel : l’image… Les images du monde écrivent les pages de l’histoire contemporaine. Elles sont indélébiles, inoubliables, gravées dans nos mémoires, sur ce rocher solide du temps qui passe. Vous découvrirez et retrouverez, à travers une sélection de photographies majeures, quelques-unes des tragédies qui ont fait l’âme de Paris : de la Libération à Mai 68, des attentats à la guerre des banlieues », écrit Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris-Match, dans le dossier de presse.

Quels critères ont présidé au choix des photos de cet hebdomadaire ? Mystère.

Comment comprendre des clichés de Paris-Match exposés alors qu’ils sont dépourvus d’un éclairage historique sur les événements évoqués ?

Quel rapport entre les affrontements violents entre étudiants et policiers en mai 1968 et les émeutes urbaines de l’automne 2005 ?

Les « jeunes masqués, ou cagoulés et armés » du Blanc-Mesnil photographiés par Dragan Lekic en novembre 2005 ont-ils peur ou font-ils peur ? A comparer avec la « bande de blousons noirs désœuvrés au Pré-Saint-Gervais » photographiés par André Lefebvre en 1960...

On ne peut guère compter sur des légendes aux libellé imprécis : ainsi, la légende de la photo de « l’attentat du », au lieu de « contre le restaurant Goldenberg », ne désigne pas le terrorisme palestinien islamiste.

On note la même omission dans le dossier de presse.

« Paris Street View » de Michael Wolf
Photographe à la double nationalité, allemande et américaine, Michael Wolf « explore les rapports entre l’homme et l’environnement urbain ». Représenté par La Galerie Particulière, il a été lauréat à deux reprises du prestigieux World Press Award : en 2004 (usine en Chine) et en 2009 (métro de Tokyo).

Le panneau introduisant Paris Street View de Michael Wolf stigmatise Google Street View pour ses atteintes à « la vie privée » et à « la sécurité nationale », et « cette nouvelle forme de violence dans la ville » (sic).

Cette exposition met donc sur le même plan une ombre pixelisée et un homme gisant sur la chaussée à la fin de la guerre d’Algérie (1962) !?

« Projection de la guerre à Paris » par Patrick Chauvel
« Patrick Chauvel se définit comme « rapporteur de guerre ». Selon les mots de James Nachtwey, les photographes enregistrent l’histoire et participent à en changer le cours. Ils mettent un visage sur des faits qui peuvent sembler lointains et abstraits, ils donnent une voix à ceux qui n’en ont pas. En témoignant des dommages causés par la guerre, ils nous aident à modifier notre comportement. Ils stimulent l’opinion publique pour qu’elle agisse sur les politiques », écrit dans le dossier de presse Valérie-Anne Giscard d’Estaing, directrice de la Galerie Photo 12 qui représente Patrick Chauvel.

Et d’ajouter que celui-ci se donne « pour mission de montrer la guerre dans l’espoir de la combattre ».

Comme le montre une vidéo, ce photojournaliste couronné par le Prix World Press (1995) a incrusté avec Paul Biota une partie de ses photos de conflits (Tchétchénie, Afghanistan, etc.) dans 12 photos de monuments parisiens afin de « projeter la guerre à Paris » et sensibiliser les visiteurs sur les horreurs de la guerre.

Sur 12 « faux-tos », deux concernent des interventions militaires d’Israël au Liban ; aucune n’évoque les attentats islamistes palestiniens à Jérusalem ou les tirs de roquettes contre Naharya et Sdérot. Israël a été pourtant le lieu d’une guerre urbaine.

Sa photo associant la Tour Montparnasse à son cliché du « Sud Liban, 30 juillet 1993 » - « pendant sept jours, la ville de Nabatieh subit les bombardements israéliens » - fait penser à une Twin Tower visée par al-Qaïda le 11 septembre 2001. Israël, victime du terrorisme islamiste, apparaît en belliciste menaçant Paris !?

Involontairement, la photo originelle de Nabatieh dément sa légende : hormis les derniers étages de l’immeuble touché par un tir israélien et le dernier étage d’un immeuble situé sur la gauche de la photo, tous les autres immeubles avoisinant sont intacts. Ce qui prouve que les tirs ciblés de l’armée israélienne visent les terroristes, qui utilisent les civils comme boucliers humains. Or, lors du vernissage presse, le photojournaliste avait allégué que la ville avait été entièrement détruite, avant de nuancer sa déclaration.

On peine à comprendre pourquoi ce photojournaliste parle d’une « guerre civile » au Liban, quand le conflit opposait Palestiniens, Syriens et Libanais.

Quant à la photo du « char israélien détruit par les Palestiniens à Darmour au sud de Beyrouth » (Liban) lors de l’opération « Paix en Galilée », en 1982, elle est emblématique d’un « tour de passe-passe informatif », d’un renversement des rôles qui occulte des faits tragiques : en janvier 1976, des Palestiniens et des miliciens de diverses nationalités ont  massacré des Libanais chrétiens du village de Darmour ; des organisations terroristes palestiniennes avaient installé leur infrastructure militaire et administrative au Sud Liban d’où elles organisaient des attentats contre les Israéliens, dans et hors d’Israël, ce qui a conduit l’Etat d’Israël à réagir par l’opération militaire Paix en Galilée à l’été 1982.

Confusions
Absence d’un commissaire de l’exposition, critères non communiqués de sélections des clichés, thème ambitieux mal traité, postulats contradictoires, « direction » trop vague d’un historien, méconnaissance du degré de savoir des publics, partis pris politiques et partiaux de photojournalistes… Cette exposition a réuni presque tous les facteurs pour déraper.

Elle illustre les risques, méconnus ou ignorés, pour un musée public national d’accueillir des expositions de photojournalistes contemporains.

Elle est fondée sur trois postulats. Premièrement, le photojournaliste - le reporter de guerre est un aristocrate dans la presse - encensé comme un héros bravant mille dangers sur le « terrain », sur le « front de l’actualité », pour éveiller les consciences et informer de manière juste et honnête sur des faits dramatiques. Deuxièmement, sa photo, même dotée d’une légende lacunaire, dit tout de la situation. Troisièmement, le visiteur lambda est omniscient.

La hâte à bâtir cette exposition lui confère un côté décousu et obscur, non masqué par l’ordre chronologique.

Tout est mis sur le même plan : les tirs entre les Allemands et les résistants lors de la Libération de Paris (1944), « l’arrestation de Jean-Luc Godard, cinéaste militant » (1968) et les violences des casseurs et voyous frappant et volant des « Gaulois » lors des manifestations, en particulier celles en 2005 et celles anti-CPE ou Contrat première embauche (2006).

Mais quel silence sur la « rue arabe » haineuse et pro-Hamas défilant dans les grandes artères de Paris lors de l’opération militaire israélienne Plomb durci contre le Hamas dans la bande de Gaza (27 décembre 2008-18 janvier 2009) !

La réalité devient trop souvent inintelligible, faute sans doute d’avoir été comprise ou précisée par les organisateurs de l’exposition. Ceux-ci, responsables de Paris-Match et galeristes, n’ont pas su donner une cohérence, une intelligibilité à cette exposition qui prouve, contre leur idée, qu’une photo ne dit pas autant que mille mots.

Quant aux messages des photos et des « faux-tos » - « la guerre c’est mal, la paix c’est bien », ils laissent pantois par leur naïveté.

En effet, la paix à tout prix, même au prix de l’apeasement (apaisement), est-ce un but valable ? N’importe quelle paix ? La « paix nazie » aussi ? A l’évidence non. L’insurrection parisienne photographiée prouve que la violence contrôlée, cette guerre contre l’Occupant allemand nazi était nécessaire, justifiée, légitime, souhaitable et souhaitée par le général de Gaulle.

Les enjeux d’expositions de photos
L’exposition de photos risque de devenir une solution de facilité et le piège dans lequel tombent nombre d’institutions publiques muséales, souvent prestigieuses, en espérant des retombées presse importantes, renforcer leur notoriété, justifier ou rentabiliser des investissements, attirer un public nombreux, rajeuni et qui comprend de moins en moins la peinture antérieure au XXe siècle – ignorances des symboles ou allégories, etc. - ou est rebuté par l’art moderne, souvent abstrait.

D’autres raisons peuvent entrer en ligne de compte : condition exigée par un mécène généreux, soutien à une « noble cause » telle la liberté de la presse, etc. Ou acceptation tacite des messages politisés et biaisés de photo-reporters.

Ces musées publics offrent généralement des écrins à des photojournalistes qu’ils font bénéficier de leur prestige et de leur emplacement privilégié dans la capitale : dans des circuits touristiques, au sein de quartiers huppés, aux abords des quais de la Seine, etc.

Aux photojournalistes, ils confèrent un label prestigieux et accroissent leur célébrité.

Et aux galeries, ils apportent ce « plus » rare qui renchérit la côte de leurs artistes, voire augure des acquisitions publiques.

L’exposition de photographies devient problématique quand elle se politise, évoque un sujet sensible en adoptant un parti pris idéologique sous le paravent artistique et informatif.

Force est de constater que ce parti pris est pour le moins pro-palestinien, voire anti-israélien. C’est le narratif palestinien qui est diffusé, plus ou moins consciemment par des photojournalistes et des médias, en harmonie avec le « politiquement correct ».

A ceux qui émettent des critiques, certains opposent la liberté d’expression ou la liberté artistique des photo-reporters.

Mais quid du devoir d’honnêteté intellectuelle du photojournaliste ? Et pourquoi ces libertés fondamentales occultent-elles systématiquement le point de vue israélien ?

Demeure une autre question fondamentale : le principe de neutralité du service public et l’argent des contribuables ne sont-ils pas quelque peu malmenés ou dévoyés dans ces expositions de photos politisées, des images au fort pouvoir émotionnel ?

Jusqu’au 17 avril 2011
13, quai de Conti, 75006 Paris
Tél. : 01 40 46 56 66
Tous les jours sauf le lundi de 11 h à 18 h, nocturne le jeudi jusqu’à 21 h 30

Visuels de haut en bas
Affiche
L’Arc de triomphe © Patrick Chauvel / photomontage Paul Biota

Avril 1982, attentat à la voiture piégée devant le 33 rue Marbeuf © archive Paris Match

6 novembre 2005, cité de Grigny, un manifestant tire sur les policiers avec un fusil de chasse © Alvaro Canovas / archive Paris Match

PSV 09, Série Paris Street View © Michael Wolf, Courtesy La Galerie Particulière, Paris

La Tour Montparnasse © Patrick Chauvel / photomontage Paul Biota

6 mai 1968, un manifestant bombarde les policiers © Georges Melet, archive Paris Match

8 février 1962, des manifestants anti-OAS s’engouffrent dans la station du Chemin Vert © Charles Courriere /archive Paris Match

Articles sur ce blog concernant :
Cet article a été publié en une version plus concise dans le numéro 633 de février 2011 de L'Arche.
Il a été publié sur ce blog le 9 mars 2011, puis le 23 novembre 2015.

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