« Menachem & Fred, orphelins de l’Holocauste » est un documentaire de Ronit Kertsner et d’Ofra Tevet (2008). L’histoire de la famille Juive allemande Mayer : les parents sont assassinés à Auschwitz-Birkenau lors de la Shoah (Holocaust), et leurs deux fils, Manfred (Fred) et Heinz (Menachem), cachés dans un orphelinat catholique en France, se séparent après la Seconde Guerre mondiale, pour vivre respectivement aux Etats-Unis et en Israël. Le récit des retrouvailles des deux frères près de 60 ans plus tard, renouées grâce à la lecture de lettres de leurs parents, scellées par l’écriture d’un livre et par un voyage familial dans leur ville natale, Hoffenheim (Allemagne). Article republié en ce Yom HaShoah.
« Il faut que vous vous entendiez. C’est mon grand souci », écrivait Mathilde Mayer, Juive allemande quarantenaire à ses deux fils cachés dans un orphelinat à Aspet (Haute-Garonne) alors que son mari et elle demeuraient internés au camp de Gurs.
Cette exhortation plane dans le documentaire et dans les relations entre les deux frères.
« Prends soin de Heinz »
Dans les années 1930, la famille Juive allemande Mayer - le couple et ses deux fils, Manfred (Fred) et Heinz (Menachem) –, bien intégrée dans la société allemande, vit à Hoffenheim, un village du Bade-Wurtemberg, région dynamique allemande limitrophe à la France et à la Suisse.
Lors de la nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, Emil Hopp, en uniforme nazi, et un groupe de SA expulse les Mayer, dont les enfants ont neuf et six ans, de leur maison qui est détruite. Les Mayer sont conduits dans un camp.
Le 22 octobre 1940, à 8 h du matin, la famille et tous les Juifs de la région sont déportés dans le camp de Gurs (Pyrénées, Sud de la France). « Nous étions en état de choc quand nous sommes montés dans ce train… Nous ne savions pas où nous allions. Ce voyage en train a marqué la fin de notre vie de famille », se souvient Fred.
Et de poursuivre : « On est arrivé de nuit. Il pleuvait. Tout le monde était désorienté, en état de choc » après trois jours de voyage. Les gens « se sont mis à pleurer ».
Les « fils barbelés du camp jouxtaient les maisons du village voisin. Les gens pouvaient voir les enfants et les vieillards patauger dans la boue. Pourtant ils ont continué à vaquer à leurs occupations, comme si de rien n’était », précise le commentaire en voix off.
Pour Fred, « les Français ont délibérément effacé les traces de leur collaboration avec les Allemands. C’est le gouvernement de Vichy qui administrait la France. Il n’y avait pas de soldats allemands [à Gurs]. Ce sont les Français qui nous ont internés de force dans le cadre de leur collaboration avec les Allemands. Aujourd’hui, ils ont honte. C’et pourquoi ils ont planté une forêt. C’est pourquoi l’endroit est méconnaissable… Au bout de quelques mois, les gens sont morts de diphtérie ».
En 1941, les parents Mayer, âgés de – 42 et 46 ans - décident de confier leurs deux fils, âgés de onze ans et huit ans, dans un orphelinat catholique de la région, à Aspet (Haute-Garonne). Menachem reconnaît le courage de ses parents pour avoir pris cette décision difficile.
Le père recommande alors à son fils aîné : « Prends soin de Heinz ! »
Les parents et leurs deux fils échangent pendant deux ans une correspondance. La mère insiste : « Manfred, j’ai un souhait. Ce n’est pas grand-chose. Fais attention qu’il n’arrive rien à Heinz. Toi, tu est un grand garçon ».
Dans sa dernière lettre, la mère écrit : « Nous sommes sur le départ et n’avons droit qu’à un bagage en main. Je ne sais pas où nous allons. Nous sommes contents de ne pas vous avoir emmenés avec nous. Vous êtes mieux là-bas ».
Deux destins croisés
Au cours de l’Occupation, pour échapper aux rafles, les deux frères sont séparés.
En 1946, Manfred rejoint Heinz en Suisse. Il tente de le convaincre de l’accompagner aux Etats-Unis. En vain. Heinz veut rejoindre Eretz Israël, alors la Palestine mandataire. Ce qu’il fait.
En Amérique, Manfred, apatride, est impatient d’acquérir la nationalité américaine, bien que l’antisémitisme perdure aux Etats-Unis (country club interdit aux Juifs).
Il change de nom et se fait appeler Frederick Raymes. Il se marie et a deux enfants : David et Suzie. Il poursuit une carrière d’ingénieur dans l’aérospatiale. Son épouse veille à respecter des fêtes juives. Veuf, il épouse Lydia, une Afro-américaine, et tous deux vivent en Floride. Joyce, épouse chrétienne pratiquante de David, élève leurs enfants dans sa religion. Quant à Suzie, si elle se sent juive, elle fréquente un temple chrétien.
En Israël, Heinz, ou plutôt Menachem, devient ingénieur agronome. Il épouse Chava, avec laquelle il a trois enfants : Tsvi, Jonathan et Michal. Il vit à Jérusalem. Toute sa famille est pratiquante et patriote, convaincue de ses droits en Eretz Israël. « Nous nous battons pour chaque parcelle de terrain… Nous finirons par gagner car il n’y a pas d’alternative. Si on ne se maintient pas ici, ce sera les chambres à gaz », déclare Jonathan Mayer, qui a construit des maisons dans des implantations.
En 1959, au hasard d’un déménagement, Fred retrouve des lettres de ses parents envoyées du camp de Gurs. Il les adresse à son frère cadet qui les place dans un tiroir, sans les lire pendant des décennies. Des décennies plus tard, il les lit, et convainc Fred d’écrire avec lui un livre en hébreu en y intégrant ces lettres.
Hasard ? Rüdiger Hopp, un fils d’Emil Hopp, lit ce livre et décide de le traduire en allemand à ses frais. Seule condition : la fonction, mais non le nom de son père, y serait mentionnée.
Après mûre réflexion, les Mayer refusent tout changement : « Si les victimes ont un nom, les bourreaux en ont un aussi », explique Menachem.
Les Hopp acceptent de dévoiler un pan nazi de leur famille. Rüdiger Hopp et sa sœur Karola avaient enlevé de leur album familial la photo de leur père en uniforme nazi.
Leur frère, Dietmar Hopp, propriétaire de la société informatique SAP et un des hommes les plus riches d’Allemagne, finance la publication du livre. Il confie :
« Des millions d’Allemands se sentent profondément concernés. Ils ressentent une profonde compassion et une profonde honte de ce qui s’est passé. Le livre des frères Mayer vient rappeler tout ça. Tout ce qui s’est passé est atroce. Je suis content que les frères Mayer nous tendent la main, qu’ils ne ressentent pas de haine. Ce qui serait justifié. Ils sont pour la réconciliation, c’est la base d’une meilleure compréhension entre les peuples ».
Une grande cérémonie est organisée à Hoffenheim, au Pays de Bade à la mémoire des Juifs déportés. Les deux frères Mayer et leur descendance y assistent.
Un périple éprouvant
Les documentaristes ont accompagné, avec pudeur, les protagonistes septuagénaires dans ce voyage douloureux, conçu par les deux frères comme une « thérapie » personnelle et pour que leurs enfants et petits-enfants « sachent ce qui s’est passé », de leur village natal à Gurs, puis à Auschwitz-Birkenau.
A Hoffenheim, Menachem se heurte indigné aux amalgames choquants d’une Allemande, ayant du quitter sa Poméranie natale (maintenant en Pologne) et assimilant l’« extermination d’un peuple » aux bombardements.
A Hoffenheim, Menachem se heurte indigné aux amalgames choquants d’une Allemande, ayant du quitter sa Poméranie natale (maintenant en Pologne) et assimilant l’« extermination d’un peuple » aux bombardements.
Fred refuse le terme « Heimat » pour désigner son village natale car il en a été « chassé comme un chien », devenant apatride, « de nulle part, sans pays ». La Floride, c’est « chez lui ».
C’est un ami d’enfance, Paul Gehrig qui partage avec Menachem ses souvenirs de sa prime jeunesse et nourrit la mémoire de Menachem.
« Comment tout a-t-il disparu du jour au lendemain ? L’Allemagne, la langue, le pays de notre culture, de notre éducation, la patrie qui nous a dit « Aus », dehors. Une histoire familiale vieille de 300 ans est anéantie », s’interroge Menachem.
Une confrontation douloureuse avec leur passé longtemps refoulé tant sont forts aussi le sentiment de culpabilité de l’aîné et celui d’abandon du benjamin. Les deux frères se souviennent de la dernière lettre de leur père recommandant à Fred : « Prends soin de ton petit frère. Soyez bons l’un envers l’autre ». Menachem reproche à Fred de ne pas être venu exprès en Suisse pour le chercher. Ce que nie Fred : « Les organisations n’ont pas fait beaucoup d’effort pour nous réunir. Elles m’ont demandé de te donner l’autorisation de partir en Israël. J’ai hésité. Puis j’ai donné mon accord. Je commençais une nouvelle vie ».
Les réalisatrices ont filmé les retrouvailles et découvertes familiales, la vie quotidienne en Floride et en Israël de deux familles aux destins différents.
Prix du cinéma pour la paix du film le plus inspirant à Berlin (2009) et Prix du public du meilleur documentaire au festival du film Juif de Palm Beach (2009), ce documentaire émouvant demeure silencieux en particulier sur la raison de la déportation au camp de Gurs et sur les associations ayant concouru au sauvetage des deux frères, puis à leur réunion.
Il souligne les conséquences d’un choix déterminant de pays effectué par deux frères adolescents. Un choix décisif pour eux, pour leurs enfants et petits-enfants : assimilation et perte d’identité Juive en deux génération pour la branche américaine, et identité juive profonde ainsi que pratique religieuse pour la branche israélienne.
« Dieu est mort ici », résume Fred à Auschwitz-Birkenau. « Le D. auquel je crois n’était pas à Auschwitz », affirme Menachem.
L’image finale montre les deux branches de la famille Mayer célébrant ensemble une soirée de chabbat.
Menachem Mayer et Frederick Raymes, Aus Hoffenheim deportiert, Menachem und Fred. Der Weg zweier jüdischer Brüder. Regionalkultur Verlag, Ubstadt-Weiher 2008. 208 pages. ISBN : 978-3897354074
Documentaire de Ronit Kertsner et Ofra Tevet
Allemagne, 2008, 1 h 30 mn
Diffusions les :
5 mars 2011 à 0 h 00 (le site internet indique le 4 mars 2011 après tous les programmes de la journée et à minuit) et 25 mars 2011 à 10 h 10
Visuels : © 2008 Egoli Tossell Film und R&O Productions
Affiche
Menachem Mayer et Fred Raymes, enfants
Fred Raymes et Menachem Mayer à Heidelberg
Articles sur ce blog concernant :
Cet article a été publié le 4 mars 2011, puis le 4 mai 2014.
Bonjour,
RépondreSupprimerJe souhaitais communiquer l'adresse de deux sites réalisés autour du 22 octobre 1940, jour où fût déclenchée l'opération qui amena 6500 membres des communautés juives du Pays de Bade, de Sarre et du Palatinat dans les Pyrénées.
http://jean-francois.mavel.pagesperso-orange.fr/
https://sites.google.com/site/lememorialdemasseube/
merci bcp!
SupprimerL'adaptation française de leur livre intitulé "Les Arbres sont-ils en fleurs chez vous" est sortie récemment aux Editions Avant-propos.
RépondreSupprimerPoignant, tout comme ce documentaire fascinant.
Bravo.