Le 8 janvier 2008, la XVIIe chambre du Tribunal de grande instance de Paris a entendu Nicolas Ciarapica, directeur de publication du site Internet Blogdei/Bethel. Celui-ci, protestant évangélique ami d’Israël, est poursuivi par le journaliste Charles Enderlin, pour diffamation raciale en raison de la mise en ligne d’un article de Stéphane Juffa, rédacteur en chef de la Metula News Agency (Mena), évoquant, en 2006, notamment l'affaire al-Dura. Une audience marquée par un « incident ».
C’est un « article très long dont on n’a que la 2e partie, vive critique du traitement des médias et intellectuels français du conflit entre les Israéliens et les Palestiniens », résume Nicolas Bonnal, président de cette chambre spécialisée dans le droit de la presse, au prévenu, Nicolas Ciarapica.
Celui-ci y comparaît pour avoir mis en ligne le 24 février 2006 la 2e partie de l’article Le grand ras-le-bol des Français juifs écrit par Stéphane Juffa, rédacteur en chef de l'agence de presse israélienne Metula News Agency et en date du 23 février 2006.
Il est poursuivi pour diffamation raciale par Charles Enderlin, correspondant de France 2 en Israël, qui vise dans sa plainte du 15 mars 2006 trois passages dudit texte.
L’auteur dudit article y dénonce la politique arabe de la France : « Il s’agissait, au début, de prendre ses distances avec le petit Etat hébreu et de se rapprocher de la grande sphère arabo-musulmane. Cela a pris du temps mais ça a fini par fonctionner, et par s’auto régénérer, jusqu’à rendre la vie des Juifs invivable dans l’Hexagone ».
Puis, Stéphane Juffa classe les juifs en quatre catégories. Ceux qui figurent dans la 3e catégorie « sont les plus lâches, mélange de haine de soi et de leurs origines ; ils devancent l’autocritique que l’on attend d’eux, n’hésitant pas à imputer à leurs frères des meurtres rituels de leur invention, tout droit sortis des cabales tsaristes ou de la propagande nazie. C’est le viol systématique des jeunes filles palestiniennes, pour Sara Daniel, par les soldats de Tsahal, dans le but de les faire exécuter par leurs familles. Le sadisme atavique et la propension à massacrer les plus faibles, les non-juifs, pour Edgar Morin-Nahum. L’espionite et la disposition à la traîtrise, une réécriture modernisée des reproches faits à Alfred Dreyfus, pour Sylvain Cypel. Le complot de l’Internationale juive, pour Dominique Vidal, renaissant de ses cendres chaque fois que l’antisémitisme a besoin d’arguments, et, enfin, l’assassinat sadique des enfants non juifs par Charles Enderlin, véritable pyromane de guerre ».
Me David Dassa-Le Deist, avocat du prévenu, soulève des irrégularités : la prescription, puis des nullités liées notamment à l’incertitude sur les propos poursuivis et sur le fondement juridique de la plainte.
Des arguments qui ne convainquent pas Alexandre Aubert, Procureur de la République.
Après une pause, le tribunal joint les incidents au fond.
Une « polémique médiatique intense »
Nicolas Ciarapica est « un chrétien évangélique (1), directeur de publication de deux sites Internet, Blogdei et Bethel, ayant la même adresse ». Sa profession : responsable du développement d’une entreprise d’insertion.
« Ces sites sont-ils liés à une association ? », interroge le président.
« Non », répond Nicolas Ciarapica.
« Quel but poursuivez-vous ? », s’enquiert le président.
« J’essaie de [mettre en ligne des articles] qui intéressent la communauté protestante évangélique. Comme beaucoup de mes coreligionnaires, nous regardons Israël… A chaque fois que les juifs sont accusés, c’est que la société va mal. Le Français moyen voit la télévision, c’est toujours pareil. Il ne voit jamais un sujet sur les juifs en ayant de l’empathie pour eux. Ceci me heurte. Nous essayons de faire de la réinformation, de présenter un autre son de cloche. Nous avons cherché d’autres sources d’information. On a trouvé la Mena. Metula se trouve en face des camps du Hezbollah », explicite le prévenu.
Il a « voulu informer [ses] lecteurs. L’article est parfois excessif. Chacun s’envoie des noms d’oiseaux. J’ai enlevé l’article dès que j’ai vu qu’il pouvait causer un trouble. Le 13 octobre 2006, la page n’était plus accessible. J’essaie d’apaiser les tensions. Sur le fond je suis d’accord, mais pas sur la forme ».
Lors de son audition par la police, il a d’ailleurs présenté des excuses, réitérées auprès du juge d’instruction et devant le tribunal.
Et il explique le contexte de la publication : « C’était après l’assassinat crapuleux d’Ilan Halimi dont la France a eu de la peine à reconnaître le caractère antisémite. C’est une critique à chaud qui fait état des blessures du peuple juif ».
« Il n’y a pas d’avertissement particulier… », relève le président.
« L’article est mis dans la rubrique Antisémitisme, sous-rubrique Désinformation… J’avais la puce à l’oreille quand ce reportage [des al-Dura] a été offert gracieusement. Ceci a entraîné des centaines de morts en Israël. Je me suis documenté. J’ai trouvé en Israël des gens qui disaient : « On n’est pas responsables », et des experts. Certains disent : « L’enfant n’est pas mort ». [Mohamed al-Dura] est devenu une icône ! »
Ce philosémite ne comprend pas avoir été attrait en justice alors qu’il a « essayé de défendre les juifs qui sont calomniés ! »
Une « statue du commandeur qui vacille »
Me Bénédicte Amblard entame la même plaidoirie que lors des trois procès de l’automne 2006 : son client, « Charles Enderlin, est un citoyen franco-israélien… L’auteur d’ouvrages reconnus… Un journaliste respecté… A l’honnêteté intellectuelle incontestée… »
Ce « 26 février 2006, Charles Enderlin a découvert des propos d’une particulière violence, repris d’un organisme, la Mena, que le tribunal connaît bien… relayés par certains sites qui ont fait l’objet de poursuites et de condamnation. Ces propos font suite à la longue campagne de diffamation contre Charles Enderlin par une agence condamnée déjà ».
Ce journaliste est visé « en sa qualité de journaliste et de juif. Nicolas Ciarapica a repris tels quels les propos invérifiés, très médiocres de la Ména ». Me Bénédicte Amblard insiste sur le mot « désinformation, sur lequel un jugement a estimé y avoir lieu à diffamation. C’est une incrimination insupportable : un mauvais juif ! »
Et de poursuivre : « Nicolas Ciarapica affirme sans nuance : « Il n’y avait qu’un seul son de cloche ». S’il avait vu les reportages de Charles Enderlin au lendemain de l’incident dramatique… [plusieurs secondes (d’hésitation ?)] de la mort de Mohamed al-Dura, il aurait su qu’il y avait plusieurs sons de cloche par Charles Enderlin ».
Le procureur de la république n’estime pas diffamatoires les deux premiers passages incriminés.
Quant au 3e extrait sur la haine de soi animant certains juifs, Alexandre Aubert est décontenancé par ce « raisonnement tortueux, paradoxal, un peu délicat, assez confus au final ». Il s’en remet à l’appréciation du tribunal.
« Ne pas galvauder les mots »
« J’ai plaidé devant cette chambre pour Pierre Lurçat poursuivi par Charles Enderlin et France 2 (2). J’ai gagné pour un vice de procédure. Après sept ans, l’affaire al-Dura n’a pas fini de faire parler d’elle. On a vu [enfin] les rushes. L’opacité [qui l’a entourée] a créé les conditions d’une réinformation légitime... Mon client est un humaniste chrétien, responsable d’un site spirituel. Il n’éprouve aucune animosité pour Charles Enderlin, un journaliste de qualité. Peut-on le condamner comme Faurisson et Dieudonné ? », s’indigne Me David Dassa-Le Deist, avocat d’un « dossier difficile » découvert quelques jours plus tôt.
Il émaille sa plaidoirie, dont la longueur suscite l’irritation du président, de citations littéraires et s’étonne de l’absence de poursuite contre Stéphane Juffa, auteur de l’article incriminé.
Il ne trouve aucune justification à l’accusation de diffamation raciale dans les deux premiers passages de cet « article stupide ». Charles Enderlin n’y est ni cité ni identifiable.
Quant au 3e passage, il « identifie les juifs selon leurs comportements : les pleutres adoptant un profil bas, les courageux qui portent leur judaïsme comme un drapeau, les juifs honteux cumulant haine de soi et lâcheté, et les sionistes qui ont tout compris au drame et ont fait leur aliyah. « Charles Enderlin [est qualifié de] véritable pyromane de guerre [pour avoir imputé à ses frères des meurtres rituels de son invention] ». Est fustigé non pas le fait d’être juif, mais un comportement : la lâcheté. C’est un propos outrageant, une invective, une injure, mais pas une diffamation raciale ».
Cet avocat demande donc la relaxe de son client.
Le 12 février 2008, la XVIIe chambre du TGI de Paris a condamné Nicolas Ciarapica, directeur de publication des sites Internet Blogdei/Bethel, pour diffamation raciale à l'égard de Charles Enderlin. Ce protestant évangélique ami d'Israël est condamné à une amende de 1 000 euros et à verser un euro de dommage et intérêt et 1 000 euros au titre des frais de justice au correspondant de France 2 en Israël. Il devra publier le jugement sur ces sites pendant deux mois.
Une affaire judiciarisée par Charles Enderlin
Que retenir de ce procès ?
D’abord, l’affaire al-Dura déborde le cadre juif : des chrétiens amis d’Israël, peuple et Etat, s’y intéressent intensément.
Actes manqués ? Comme Guysen, Me Bénédicte Amblard reprend la terminologie anglo-saxonne : « The al-Dura incident ».
Surtout, par son bref silence étonnant dans une antienne archi-connue, elle semble hésiter sur la réalité d’un fait allégué par son client – la mort de Mohamed al-Dura -, et cèle un autre élément, majeur et controversé, de la thèse du journaliste : l’origine israélienne des tirs.
Quant à Charles Enderlin « retenu à Jérusalem » le 8 janvier 2008, il a mandaté Me Louise Sportas pour exprimer sa « ferme protestation » contre la tenue, le 9 janvier 2008, d’un colloque universitaire sur l’affaire al-Dura alors que « la justice examine cette matière » (3).
L’enjeu est là. Par des procédures judiciaires, Charles Enderlin et France 2 ont ciblé les sites Internet qui diffusent les articles écrits par ceux ayant enquêté sur l’incident al-Dura, listé les incohérences et invraisemblances de la thèse des parties civiles et avancé des arguments pertinents. La seule exception à cette règle est la plainte contre Media-Ratings (4). Une plainte que Charles Enderlin et France 2 doivent amèrement regretter d’avoir déposée.
Ils souhaitent ainsi obtenir des condamnations judiciaires de ces sites pour diffamation.
Ainsi, seraient prohibés, à peine de condamnation automatique, tout débat, pourtant propre à la démocratie, tout questionnement sur la version de Charles Enderlin plaquée sur les images de son cameraman palestinien Talal Abou Rahma (5), reprise par France 2, et qui deviendrait La seule Vérité autorisée.
(1) Les protestants évangéliques espèrent que le retour des juifs en Israël sera annonciateur de celui du Christ (parousie) à la fin des temps pour établir le royaume de Dieu sur terre. Dans cette croyance, les juifs se convertiront au christianisme.
(2) Il s’agit de l’audience du 24 octobre 2006 présidée par Nicolas Bonnal.
(3) Richard Landes, France2 begins to sweat, tries to bully, 8 janvier 2008. Article traduit en français
(4) En portant plainte contre Philippe Karsenty, directeur de l’agence de notation des médias Media-Ratings (www.m-r.fr), Charles Enderlin et la chaîne publique française ont commis une erreur d’appréciation.
(5) Talal Abou Rahma s’est rétracté le 30 septembre 2002, après avoir initialement affirmé sous serment le 3 octobre 2000 : « L’enfant a été tué intentionnellement et de sang-froid par l’armée israélienne ».
Articles sur ce blog concernant :
Il manque à votre article que P.Karsenty a finalement été aussi condamné après casssation et appel : http://www.lexpress.fr/actualite/medias/al-doura-philippe-karsenty-de-nouveau-condamne-en-appel_1261339.html Désinformation de votre part ?
RépondreSupprimerJ'ai indiqué dans mon article la condamnation de Philippe Karsenty http://www.veroniquechemla.info/2013/07/condamne-pour-diffamation-payer-11-000.html
RépondreSupprimerLa procédure visant Philippe Karsenty portait sur la diffamation, une qualification juridique de ses propos. Et non sur l'authenticité des allégations de ce reportage controversé.
Vous confirmez ce que j'ai écrit : cette mention de la condamanation de P Karsenty que vous relatez ailleurs manquait jusqu'à ce jour au présent article. Sur le fond de l'affaire de l'authenticité de ce que vous appelez "allégations de ce reportage", permettez-moi de garder davantage confiance dans le professionalisme de C.Enderlin que dans le vôtre ou dans celui des agences de propagande d'une des parties en guerre.
Supprimer1. Cet article avait été publié par Guysen, puis republié en 2010 sur mon blog.
RépondreSupprimerEn 2010, Blogger n'offrait pas d'onglets Pages thématiques.
Donc, j'indiquais en fin d'articles la liste des articles sur la même thématique.
Quand Blogger a offert la possibilité d'insérer des onglets Pages, j'ai cessé d'indiquer la liste, incomplète et longue, des articles sur la même thématique, et j'ai mentionné la liste des onglets Pages.
En cliquant sur les liens, le lecteur arrive sur l'onglet Page, et peut voir la liste des articles classés dans une même thématique : par exemple, l'affaire al-Dura/Israël.
Si vous aviez cliqué sur la page Affaire al-Dura/Israël, vous auriez lu l'article dans lequel j'indiquais l'arrêt de la Cour de cassation.
IL n'y a donc aucune "désinformation".
2. Vous faites "davantage confiance dans le professionnalisme de C. Enderlin" que dans le mien ou dans "celui des agences de propagande d'une des parties en guerre".
Mes articles sont étayés d'arguments, d'analyses fondées, de citations contradictoires du cameraman palestinien Abou Rahma ou d'Arlette Chabot, qui à un moment a contredit Charles Enderlin, etc. Vous ne présentez aucun argument à l'appui de votre "position".
Tout professionnel peut commettre des fautes, après un an, cinq ans, dix ans, vingt ans, trente ans d'expérience professionnelle.
Et moi la première.
Nous sommes tous faillibles.
A quelles "agences de propagandes d'une des parties en guerre" faites-vous allusion ?
L'AFP est l'agence publique d'un Etat en guerre contre l'Etat islamique. Donc, vous ne lui faites pas confiance. Intéressant...
"L'AFP est l'agence publique d'un Etat en guerre contre l'Etat islamique. Donc, vous ne lui faites pas confiance." Intéressant..."
Supprimer"Intéressant...", dites vous, mais surtout révélateur amalgame de mauvaise foi de votre part. Que vient faire l'AFP et la lutte contre Daech dans cette affaire ou une propagande d'Etat a visé à se blanchir de ses crimes en criminalisant un journaliste courageux. Est-ce donc pour vous ce que ferait l'AFP dans la guerre mondiale contre l'EI ?
Oui je le répète, ma confiance en votre déontologie ne se compare certainement pas à celle que je suis enclin à faire à celle de C.Enderlin, je suis désolé de devoir vous le dire, car vous ne voius exprimez pas ici comme journaliste mais comme propagandiste d'un Etat.
1. Sur l'AFP diffusant la propagande palestinienne :
Supprimerhttp://www.debriefing.org/12629.html
http://obs.monde.juif.free.fr/pdf/omj02.pdf
2. A quelle « propagande d'Etat ayant « visé à se blanchir de ses crimes en criminalisant un journaliste courage » faites-vous référence ?
Les gouvernements israéliens successifs ne se sont pas prononcés sur ce reportage controversés pendant près de 13 ans.
Ce n'est qu'en 2013 qu'un rapport israélien public a affirmé que les allégations de ce reportage controversé étaient infondées. http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/19/affaire-al-doura-israel-conteste-la-version-de-france-2_3360083_3218.html
3. Quels seraient les « crimes » d’Israël ?
Toujours aucun exemple, aucun argument.
4. En quoi Charles Enderlin serait-il un « journaliste courageux » ?
Toujours aucun exemple, aucun argument.
5. Sur le parti pris de l’AFP révélé par sa dépêche sur les attentats terroristes islamistes du 13 novembre 2015 : l’AFP a titré sur des « assaillants tués » sans mentionner les victimes assassinées par ces djihadistes.
Dans cette guerre, l’AFP a victimisé les terroristes islamistes !?
http://www.europe-israel.org/2015/12/lafp-agence-france-presse-mensonges-manipulations-omissions-la-menace-islamiste/
6. Quant à vos diffamations à mon égard, je les déplore. Peut-être proviennent-elles de votre incapacité à argumenter.
Donc, je mets un terme à cet échange.
Je ne publierai plus vos messages.