Empruntant le titre à Dostoïevski, le musée d’Orsay consacra une exposition à la représentation du crime et de son châtiment dans les arts. Il rappellait aussi « l’approche qui se veut scientifique du tempérament criminel ». Une réflexion sur le Mal. Le 24 avril 2017, Arte diffusera Tu ne tueras point, réalisé par Krzysztof Kieslowski.
Deux siècles de combat pour abolir la peine de mort en France, pour que la demande argumentée de Cesare Beccaria, formulée en mai et juin 1791 par Le Peletier de Saint-Fargeau aux députés de la Constituante et exhortée par Robert Badinter, ministre de la Justice, soit obtenue (30 septembre 1981). Une peine qui « après avoir relevé de l’omnipotence d’un Dieu ou de l’autorité absolue d’un Roi – tempérée par le droit de grâce – ne serait plus administrée, dans la logique des Lumières, que par l’homme ».
Ecrivains et poètes – Sade, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly, Hugo, Camus -, peintres et sculpteurs – Prud’hon, Goya, Géricault, Delacroix, Picasso, Warhol -, réalisateurs se sont inspirés ou ont créé des figures de meurtriers et meurtrières (Charlotte Corday poignardant le Conventionnel Marat). Le criminel, « ombre portée du héros, son double ambigu ».
La représentation du crime dénote aussi fascination ou répulsion, procède d’une volonté de suggérer ou de complaisance esthétisante.
Des feuilles distribuées en France à la presse à grand tirage (Le petit Journal), les journaux s’intéressent aux faits divers. Créant Détective en 1928, le journaliste et écrivain Joseph Kessel déclare : « Le crime existe, c’est une réalité, et pour s’en défendre, l’information vaut mieux que le silence ».
A la fin du XIXe siècle, « se développe une approche qui se veut scientifique du tempérament criminel : Lombroso développe une anthropologie qui prétend établir les caractéristiques mais aussi les constantes de l’homme criminel, qui s’inscriraient dans sa physiologie même, comme des stigmates, et même se transmettraient par atavisme ».
Ce faisant, c’est « aussi décriminaliser en partie l’individu et criminaliser la classe sociale et bientôt la race, ou du moins les rendre susceptibles d’une expertise scientifique, dont Bertillon plus tard développera les procédures » : identification judiciaire (photographies de face et de profil, classement des données selon des mesures physiques.
Dans La colonie pénitentiaire, Kafka décrit une « machine de torture légale et publique… Le supplice consiste en ceci que la herse est armée d’aiguilles qui inscrivent dans la chair du condamné le commandement qu’il a violé ».
Dans les années 1920, se développe dans l’Allemagne de Weimar une « imagerie singulière et violente autour du Lustmörder, le criminel sexuel. Otto Dix, George Grosz, Schlichter et plus généralement les peintres de la Neue Sachlichkeit – La Nouvelle Objectivité – multiplient les scènes de meurtres, souvent accompagnées de sévices et de démembrement des cadavres, dans des décors domestiques misérables ». Et l’exposition de citer M. le Maudit de Fritz Lang. Les commissaires expliquent cette « vague de criminalité sadique » par la Première Guerre mondiale, ses blessés et infirmes, et la crise économique.
Cette fascination pour le crime se retrouve aussi chez les Surréalistes (collages de Max Ernst dans La Femme 100 têtes).
L’exposition s’intéresse aussi aux crimes crapuleux, passionnels, compulsifs, aux relations entre folie, génie et crime ainsi qu'aux crimes comme représentatifs de l’époque à laquelle ils sont commis.
Dès l’entrée de cette sombre exposition, on est stupéfait de constater qu’est omise la source biblique du 6e commandement « Tu ne tueras point ». C’est l’un des apports fondamentaux de la Bible, du judaïsme. André Chouraqui a traduit ce commandement en « Tu n’assassineras pas ». Le musée omet le contexte : ce don de la Torah à Moïse sur le mont Sinaï.
Dans ce tableau de Gustave Moreau, Caïn, fils d’Adam et d’Eve, fratricide, « porte en lui son propre châtiment : la culpabilité. Celle-ci est autant le fruit de son remords que celui du jugement implacable de Dieu ». Et Victor Hugo évoquera ce crime dans son poème La Conscience (La Légende des siècles) qui s'achève par ce célèbre vers : « L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn ».
Curieusement manque dans l’exposition, qui évoque pourtant la figure de la sorcière, le crime rituel (Blood libel), cette accusation fausse et diffamatoire à l’encontre des juifs de tuer des enfants non-juifs à des fins rituelles. Une allégation antisémite destinée aussi à diaboliser l’Etat d’Israël et dont on voit la résurgence dans l’affaire al-Dura, dans des manifestations, etc.
Et cette exposition ne mentionne pas le crime dit « d'honneur », perpétré aussi en Occident, et que Phyllis Chesler, professeur émérite de psychologie, a analysé.
Et cette exposition ne mentionne pas le crime dit « d'honneur », perpétré aussi en Occident, et que Phyllis Chesler, professeur émérite de psychologie, a analysé.
Jusqu’au 27 juin 2010
Au musée d’Orsay
Niveau 0, Grand espace d’exposition
1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris
Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45
Visuels de haut en bas :
Couverture du catalogue
Gustave Moreau
L’âge de fer, Caïn
Huile sur bois, 34x25 cm
Paris, Musée Gustave Moreau
© RMN / Philipp Bernard
Georges Grosz
Caïn ou Hitler en enfer, 1944
Huile sur toile, 99x124,5 cm
Rome, Estate of George Grosz
© Droits réservés
© Adagp, Paris 2010
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Les citations sont extraites du dossier de presse. Cet article a été publié le 22 juin 2010, puis le 16 novembre 2015.
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